Bilan du premier semestre 2025


Chronique parue dans L’officiel des difficultés des entreprises, CNAJMJ

Elise Roullaud, UCO Angers, Centre Nantais de Sociologie, UMR CNRS 6025.

Antoine Vion, Nantes Université, Centre Nantais de Sociologie, UMR CNRS 6025.

Il y a 6 mois, le bilan annuel 2024 avait souligné l’augmentation des défaillances par rapport à 2023 (+17,6%) et depuis la période pré-crise sanitaire (+21,7% depuis 2018). Parmi les facteurs explicatifs de ces augmentations, étaient pointés les effets de la sortie de la période COVID, marquée par la fin des aides exceptionnelles, mais également certains éléments macroéconomiques comme l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, ou encore les changements dans les comportements de consommation et de production. L’évolution des budgets des ménages avait eu un impact particulier sur les secteurs de la santé, des loisirs, de l’habillement ou encore de l’électroménager.

A la fin de ce 1er semestre, la hausse globale du nombre de défaillances n’est plus que de 0,4% par rapport au 1er semestre 2024. Peut-être le « rattrapage » des défaillances évitées grâce aux aides COVID a-t-il cessé de produire ses effets, de même que la baisse des taux d’intérêt a pu jouer un rôle.

Deux secteurs qui étaient fortement impactés ces dernières années permettent d’illustrer l’accalmie observée sur les six premiers mois de 2025 :

  1. La construction est le secteur qui connait le plus de défaillances (6 641). Celles-ci sont désormais en baisse de 3,4% par rapport au S1 2024. La baisse du nombre de défaillances est particulièrement positive pour la construction de maisons individuelles (-13,3%).
  2. Le commerce, avec un nombre de défaillances toujours en hause de 39% par rapport au 1er semestre 2019, mais en baisse de 5% par rapport au 1er semestre 2024. Cela concerne tout particulièrement le commerce de détail d’habillement en magasin spécialisé, avec 445 défaillances au 1er semestre 2025, un chiffre en baisse de 14,6% par rapport au 1er semestre 2024, ainsi que le commerce d’alimentation générale (352 défaillances au S1 2025, en baisse de 12% par rapport au 1er semestre 2024)
  3. Les activités immobilières avec 1 178 défaillances au 1er semestre 2025, un chiffre en baisse de 10% par rapport au 1er semestre 2024. Ce retournement est particulièrement bienvenu pour l’activité des agences immobilières, avec 461 défaillances au 1er semestre 2025, soit une hausse de 183% par rapport au S1 2019 mais une baisse de 27% par rapport au S1 2024. La baisse des taux d’intérêt et leur relative stabilité actuelle ne sont sûrement pas étrangères à cette inflexion dans le secteur.

Néanmoins, si la tendance globale s’oriente vers une stabilisation des niveaux de défaillances, une grande partie des dynamiques sectorielles identifiées fin 2024 se confirme à la fin de ce 1er semestre.

Des tendances sectorielles qui se confirment

Certains secteurs se distinguent par une augmentation du nombre de défaillances supérieure à la moyenne, dans la continuité des tendances observées fin 2024.

  1. C’est le cas du secteur de l’hébergement et restauration, en hausse de 46% depuis 2019, et de 8,6% par rapport à 2024. C’est davantage la restauration que l’hôtellerie qui est touchée : par rapport au S1 2024, l’augmentation est de 13,9% pour la restauration traditionnelle, 5,5% pour la restauration rapide et 6,4% pour les débits de boissons, dans la continuité d’augmentations fortes par rapport à 2019. L’impact sur l’emploi est particulièrement important dans ces secteurs, avec 8 297 salariés menacés depuis le début de l’année et 200 entreprises de plus de 10 salariés qui sont rentrées en procédures collectives, soit une hausse de 16,3% sur cette typologie d’entreprises, à mettre en regard avec la baisse tous secteurs confondus pour les entreprises de + de 10 salariés (-3,8%). Ces entreprises ont été particulièrement touchées par des réductions de trésorerie et de chiffre d’affaires rapides, sous l’effet de la hausse des coûts d’énergie, du télétravail, de la routinisation des déjeuners en lunch box. Il est significatif que cette hausse des défaillances soit contemporaine d’ouvertures de bouillons et de cantines à plat unique, marquant le retour à des modes de consommation plus économiques observables au XIXe siècle lors du développement du secteur.
  2. Sur le premier semestre, les défaillances dans les activités spécialisées, scientifiques et techniques sont en hausse de 69% depuis 2019 et de 7% par rapport à 2024. Avec 678 défaillances au S1 2025, les activités de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion sont particulièrement impactées (+82% par rapport à 2019, +20% par rapport à 2024). C’est également le cas des activités des sièges sociaux (+131% depuis 2019, +13,5% depuis 2024).
  3. Le secteur information communication connaît également une hausse des défaillances au-dessus de la moyenne tant à court terme qu’à plus long terme (+90,3% par rapport au S1 2019, +8,6% par rapport S1 2024). L’informatique apparaît particulièrement touchée, avec, au 1er semestre 2025, 219 défaillances dans le secteur de la programmation informatique (+13,2% par rapport au S1 2024) et 215 défaillances dans le secteur du conseil en systèmes et logiciels informatiques (+21,5% par rapport au S1 2024). Ces secteurs, comme celui du conseil, se caractérisent par un volume d’affaires basé principalement sur le service aux entreprises. Comme indiqué pour l’année 2024, les plans de baisse de coûts des grandes entreprises produisent des effets non négligeables sur les chiffres d’affaires des PME du conseil, de la communication et les ESN (entreprises de service numérique).
  4. Enfin, le secteur agriculture, sylviculture et pêche connait une augmentation de 8,8% du nombre de défaillances par rapport au S1 2024. Avec 124 défaillances sur le 1er semestre 2024, la culture de la vigne est particulièrement exposée (+188% par rapport au S1 2019, +35% par rapport au S1 2024). Cela pourrait traduire des difficultés liées à la météorologie et à la concurrence internationale.

De nouvelles tendances en 2025

Trois secteurs particulièrement affectés par les défaillances au 1er semestre retiennent notre attention. Ils méritent un suivi à l’avenir et des investigations plus poussées.

  1. Le secteur des transports routiers de fret interurbains pourrait être fortement impacté par un effet de restructurations qui suit une dynamique d’intégration des activités logistiques dans des grands groupes mondiaux. On observe dans ce secteur 59 défaillances d’entreprises de + de 10 salariés au 1er semestre 2025, soit une hausse de 41% par rapport au S1 2024 et 136% par rapport au S1 2019. Ces défaillances ont un impact territorial fort avec des sociétés souvent situées en Auvergne, en Bourgogne ou dans les Hauts-de-France. Ces régions ne sont pourtant pas celles qui connaissent les hausses de défaillances les plus importantes tous secteurs confondus. C’est donc sans doute bien une réorganisation du secteur d’activité qui s’y joue. Dans les Hauts-de-France, on peut par exemple penser que la proximité des grandes aires logistiques néerlandaises favorise les entreprises de très grande taille, capables d’assurer des rotations rapides et continues.
  2. Un autre fait notable de ce bilan semestriel est la forte hausse des défaillances d’entreprises de sécurité privée par rapport au S1 2024. Depuis début 2025, ce sont 214 entreprises dans le secteur des activités de sécurité privée qui sont entrées en procédures collectives, une hausse de 12% par rapport au S1 2024, et 52 d’entre elles emploient plus de 10 salariés, ce qui représente une hausse de 41% par rapport au 1er semestre 2024. Cette tendance apparaît peu intuitive alors que les Jeux Olympiques sont réputés avoir soutenu le secteur. Lorsque l’on analyse attentivement la situation des 20 plus importantes entreprises de sécurité privée en procédures collectives, celles-ci sont souvent des entreprises ayant connu une forte croissance de leurs activités de gardiennage au moment des confinements du fait de la déshérence des sites publics et industriels et dont le chiffre d’affaires s’est brutalement tassé par la suite. Les départements les plus touchés sont le Puy-de-Dôme, la Côte d’Or, les Côtes d’Armor, le Finistère, le Nord, l’Oise, la Somme et la Guadeloupe.
  3. Enfin, les entreprises de taxis connaissent une forte hausse des défaillances au niveau national ; avec 366 défaillances au 1er semestre 2025, la hausse est de 33% par rapport au S1 2024 et de 66% par rapport au S1 2019. Depuis 2019, ce sont 2 583 entreprises de taxis qui sont rentrées en procédure collective. Les causes de ces difficultés sont multiples : concurrence des voitures de transport avec chauffeur (VTC), mais aussi covoiturage ou transports en commun pour limiter les frais domestiques ou professionnels. Dans ce contexte, les mobilisations des taxis ayant entouré la négociation de la nouvelle convention de l’Assurance-maladie pour le transport de patients doivent être appréhendées comme des mobilisations pour la continuité de leur activité économique. Cette activité représentant une part importante de leur chiffre d’affaires, a fortiori hors des grandes villes.