Les secteurs qui subissent les arbitrages des ménages et des entreprises.


Chronique parue dans L’officiel des difficultés des entreprises 2024, CNAJMJ, mars 2025.

Elise Roullaud, UCO Angers, Centre Nantais de Sociologie, UMR CNRS 6025.
Antoine Vion, Nantes Université, Centre Nantais de Sociologie, UMR CNRS 6025.

Les données publiées cette année mettent en évidence une nette progression des défaillances par rapport à 2023 (respectivement +16,7%).

La parenthèse COVID, caractérisée entre autres par des accès aux prêts garantis, aux aides publiques ou aux reports de cotisations URSSAF, est bel et bien terminée. A cela s’ajoutent plusieurs causes macroéconomiques. L’inflation n’est pas un élément explicatif suffisant. La hausse des taux d’intérêts en 2023 a plus certainement contribué à une augmentation des défaillances, notamment dans le secteur immobilier, où l’accès au crédit est devenu plus contraint pour les particuliers. D’autres facteurs liés aux évolutions des pratiques de consommation et de production jouent également.

Modifications des comportements des ménages et difficultés des entreprises.

Crise oblige, les ménages ont eu tendance à modifier leur consommation, soit en réduisant leurs volumes d’achats pour certains biens, soit en repoussant certaines dépenses, voire en y renonçant. Cela s’accompagne, pour la moitié de la population, d’un sentiment de dégradation du niveau de vie et d’un certain pessimisme par rapport à l’avenir (Credoc, 4ème édition de l’Observatoire des vulnérabilités, 2024). Parmi les entreprises les plus en difficulté, on retrouve logiquement celles dont l’offre correspond aux postes de dépenses différés ou exclus par les ménages après arbitrage budgétaire : santé, loisirs et culture, habillement ou encore électroménager.

Dépenses de santé

Alors que plus d’un quart de la population dit reporter ou renoncer à des soins de santé (Credoc, ibid.), on note, pour l’année passée, une hausse de 93% des défaillances concernant les commerces de détail d’articles médicaux et orthopédiques, peu ou mal remboursés. Ce sont 131 entreprises qui ont été touchées l’an dernier, une augmentation de 253% depuis 2018.

Concernant les entreprises exerçant une activité vétérinaire, les défaillances augmentent de 75% par rapport à 2023, les soins de santé animale sont également touchés.

Voyages et loisirs

La façon d’organiser ses vacances évolue en limitant les intermédiaires, notamment les entreprises de voyagistes. Celles-ci voient leur nombre de défaillances augmenter de 42 % sur une année et de 54,5% par rapport à 2018 (17 défaillances en 2024). De même, alors que le transport représente un poste de dépense important (13,5 % des dépenses de consommation des ménages en 2021, Chiffres clés des transports – Édition 2023), l’augmentation des défaillances des entreprises de location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers est notable (169 défaillances, +31 % entre 2023-2024, +87% par rapport à 2018).

Le commerce de détail : certains secteurs particulièrement atteints.

L’année dernière, le commerce de détail a été l’un des quatre secteurs les plus affectés, représentant à lui seul 20,9 % du nombre total des défaillances et 11,8% du stock total d’entreprises. On peut cependant noter des variations selon les types de commerce.

En 2024, les Français ont eu tendance à moins dépenser pour l’habillement et pour les biens d’équipement du logement. Ces deux secteurs sont particulièrement touchés par l’accroissement des défaillances par rapport à 2023 : +51 % pour l’univers du commerce de détail du meuble (386 défaillances), +50 % pour celui des commerces de textiles, d’habillement et de chaussures sur éventaires et marchés (36 défaillances) par rapport à 2018.De même, la librairie n’est pas épargnée (60 défaillances) avec une hausse de 43 % par rapport à 2023 et de 64 % par rapport à 2018. Ces secteurs pourraient être affectés par un passage massif à la seconde main. Or, les défaillances semblent également toucher ce type d’activité. Ainsi, pour les commerces de détail de biens d’occasion, on constate 57% de procédures collectives supplémentaires par rapport à 2023 et +95,2% par rapport à 2018. Les commandes web de plus en plus massives peuvent expliquer ces phénomènes.

La viande : le rouge et le blanc

Depuis une vingtaine d’années, les Français consomment de plus en plus de volaille et de moins en moins de bœuf. Ceci se répercute sur les entreprises de transformation et de conservation de viande de boucherie dont les défaillances ont augmenté de 156 % entre 2018 et 2024 (82 défaillances), alors que celles des structures de transformation et de conservation de volaille, connaissaient une baisse des défaillances : seules deux entreprises ont cessé leur activité en 2024. Pour ces deux secteurs, l’année 2024 est relativement neutre au regard de ces tendances de longue durée.

Les difficultés liées aux arbitrages des entreprises

L’inflation, couplée à la fin des aides mises en place dans le cadre du « quoi qu’il en coûte », a ralenti l’investissement. Tout comme pour les ménages, certaines dépenses des entreprises sont réduites, reportées ou annulées. Les entrepreneurs ont cherché à minimiser les coûts.

Les effets des politiques de réduction des coûts

Les périodes d’inflation conduisent les entreprises à limiter la réduction de leurs marges par une politique de réduction de leurs dépenses. En témoigne la baisse du recrutement en intérim qui a un effet sur les défaillances d’agences de travail temporaire (118 en 2024) : + 181 % par rapport à 2023, + 354 % par rapport à 2018. Cette évolution est même de +2050% si l’on s’intéresse uniquement aux entreprises de plus de dix salariés. Dans ce secteur, les entreprises intermédiaires disparaissent ou sont rachetées.

Plus généralement, la baisse du recours à certains services jugés moins prioritaires par les dirigeants se traduit par une hausse des défaillances chez leurs prestataires habituels.

  • Les entreprises de conseil en logiciels et systèmes informatiques connaissent une augmentation de 31% des défaillances (68,4% de 2018 à 2024).
  • Les entreprises de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion avec un accroissement de 25 % (64,3% de 2018 à 2024)
  • Les activités de design connaissent une hausse de 18 % (81,3% de 2018 à 2024).
  • Il en va de même pour les structures de conseil en communication et relations publiques et de celles proposant des services de traiteurs avec une augmentation respective de 66,8 % et 43,7% sur la période 2018-2024.
  • Dans le cas des entreprises de plus de dix salariés, les agences de publicité connaissant une hausse des défaillances de 47 % entre 2023 et 2024 (+159% par rapport à 2018).
  • Pour les entreprises dans les activités des sièges sociaux c’est +42%.
  • Quant aux établissements de formation continue pour adultes, l’augmentation des défaillances est de 121% par rapport à 2023.

Immobilier : les effets des baisses de mises en chantier

Le déclin du marché de l’ancien et de la construction de logements neufs a eu un effet particulièrement puissant sur la situation des agences immobilières : +34% des défaillances cette année et +257,4% de 2018 à 2024. Dans les agences de plus de dix salariés, depuis 2018, l’augmentation a même été de +550%.

Si l’indice du coût de la construction sur un an est en hausse, il est plus marqué dans le secteur non-résidentiel (+1,7 %) que dans le secteur résidentiel (+0,9 %). Le marché de l’immobilier étant bas, avec un nombre de transactions en baisse dans l’ancien et une chute des mises en chantiers dans le neuf, ce sont les entreprises de travaux de maçonnerie et de gros œuvre qui pâtissent le plus du ralentissement (+24% de 2023 à 2024 et + 33,3% de 2018 à 2024). On retrouve également les entreprises de terrassement courant et de travaux préparatoires (+13% de 2023 à 2024 et + 62,3% entre 2018 et 2024), de plâtrerie (+22% de 2023 à 2024 et + 45,8% entre 2018 et 2024) et de montage de structures métalliques (+52% de 2023 à 2024 et + 19,4% entre 2018 et 2024) – les difficultés d’approvisionnement en pièces métalliques transformées s’étant avérées sensibles pour ce dernier type d’établissements.

Dans les travaux publics, la baisse des mises en chantier a pour principal effet d’affecter les agences de placement de main d’œuvre (+41% de 2023 à 2024 et + 44,2% entre 2018 et 2024), auxquelles 2024 a porté un coup d’arrêt fatal.

Quelques approches sectorielles à approfondir dans les prochaines éditions

Dans la restauration, ce sont les petites entreprises de type fast-food et les entreprises de restauration traditionnelle de plus de dix salariés qui ont particulièrement souffert l’année dernière.